Numismatique Romaine

Le dupondius (ou as) de Nîmes, intrigante monnaie au crocodile

Dupondius de Nîmes
Dernière mise à jour le 2 octobre 2024

De par son histoire, les nombreux symboles qu’elle porte, au premier rang desquels un mystérieux crocodile, le dupondius de Nîmes présente beaucoup d’intérêt pour les collectionneurs. Découvrez tous les secrets de cette monnaie coloniale frappée en Gaule, sous le règne d’Auguste.

Le dupondius de Nîmes, dont les frappes débutent vers l’année 29 ou 27 avant J.-C., n’est pas la première monnaie frappée en Gaule sous domination romaine. Les villes de Lyon, de Vienne, d’Orange avaient déjà abrité des ateliers où des pièces de bronze étaient frappées, des dupondii présentant certaines similitudes d’ailleurs. Comme pour ces monnaies, le dupondius de Nîmes présente à l’avers les bustes de deux personnages, qui se tournent le dos.

Le dupondius de Nîmes se distingue toutefois par l’intriguant crocodile qui orne son revers, et qui ne se rencontrait pas sur ces monnaies de bronze jusqu’alors.

L’avers du dupondius de Nîmes

Sur l’avers de ce dupondius, les bustes de deux hommes sont adossés. Ce type de représentation n’était pas rare sur le monnayage romain. Il se voyait déjà sur les monnaies émises dans les autres cités gauloises précédemment, et il fait directement écho aux monnaies républicaines. Notamment à l’as de bronze, pièce sur laquelle figurait le dieu Janus, divinité aux deux visages qui tient une place essentielle au panthéon romain des premiers siècles.
Les deux hommes représentés ici sont Agrippa et Octave (futur Auguste).

La titulature IMP DIVI F se devine encore assez bien sur cet avers, complétée des lettres PP, réparties de chaque côté des bustes, pour Pater Patriae.

La titulature IMP DIVI F se devine encore assez bien sur cet avers, complétée des lettres PP, réparties de chaque côté des bustes, pour Pater Patriae. [© American Numismatic Society]

Agrippa, amiral de génie, compagnon de toujours

Agrippa, placé à gauche, s’identifie sans peine car il porte une couronne rostrale. Cette distinction militaire lui avait été remise par Octave dès 36 avant Jésus Christ, lorsqu’Agrippa avait défait Sextus Pompée lors de la bataille navale de Nauloque, en Sicile. Agrippa, ami de longue date d’Octave, amené à devenir son gendre, était avant un de ses généraux de premier plan.

Sans doute plus importante, plus capitale encore fût la victoire qu’Agrippa apporta à Octave en 31 av. J.-C., lorsqu’il vainquit sur les mers, à Actium, la flotte de Marc Antoine et Cléopâtre. Cette bataille décisive devait sceller le sort des deux amants, signer la soumission de l’Egypte et marquer la fin de la République, avec l’avènement d’Auguste comme premier empereur romain.

Octave, le premier empereur

Octave regarde pour sa part vers la droite. La légende, massive sur cette pièce de monnaie, fait état de sa filiation divine avec César. On y lit en effet IMP DIVI F, pour IMPerator DIVI Filius.

Sur cette monnaie frappée durant plusieurs décennies apparaissent certaines variations, qui permettent de définir et identifier différents types, correspondant à des périodes successives d’émission.
Si le visage d’Agrippa n’évolue que peu, et qu’il porte systématiquement sa couronne rostrale composée de proues de navires stylisées, le buste d’Octave connaît davantage d’évolutions. L’empereur se montre tantôt tête nue, tantôt couronné à son tour.

La titulature visible sur cet avers reste la même au fil du temps, mais dans les dernières émissions, viennent s’y ajouter les lettres PP. Réparties de part et d’autre des bustes, elles évoquent le titre honorifique de Pater Patriae, Père de la Patrie, reçu par Auguste en 2 av. J.-C.

Le revers du dupondius de Nîmes

Au revers de notre monnaie se présentent différents éléments, parmi lesquels le plus proéminent est assurément le crocodile, à droite. L’animal est représenté, parfois sans grande finesse, avec la gueule ouverte et les dents proéminentes. Sa présence, sur une monnaie frappée en Gaule, intrigue instantanément.

Sur l'avers, un crocodile est surplombé par une palme, à côté de laquelle se voit une couronne. Agrippa, à gauche sur l'avers, porte une colonne rostrale, avec des éléments symbolisant des proues de navires. [© American Numismatic Society]

Sur l’avers, un crocodile est surplombé par une palme, à côté de laquelle se voit une couronne. Agrippa, à gauche sur l’avers, porte une colonne rostrale, avec des éléments symbolisant des proues de navires. [© American Numismatic Society]

Le crocodile et la palme

Le crocodile est enchaîné à une grande palme, incontestable symbole de victoire dans l’antiquité romaine. Sur de nombreuses monnaies romaines, la Victoire est personnifiée par une femme ailée portant dans ses bras une palme. Sur notre dupondius, la palme est surmontée d’une couronne, accompagnée de ses rubans, ou lemnisques. La légende, composée des mots COL NEM qui se voient chacun d’un côté de la palme, est sans équivoque. Ces lettres font référence à COLoni NEMausus, Nemausus étant le doux nom romain de Nîmes.

Souvenons-nous que la production du dupondius de Nîmes débute au plus tôt en 29 av. J.-C. A cette époque, Octave, célèbre sa victoire sur l’Egypte à Rome, lors d’un éclatant triomphe. La victoire d’Actium, encore fraîche, a marqué un tournant décisif et mis fin à la guerre qui l’opposait à Marc Antoine, réfugié en Egypte. Aussi il est communément admis que la scène représentée au global, au centre de laquelle se trouve ce crocodile captif, est évocatrice de l’Egypte vaincue, soumise.

Des symboles sujets à interprétations

Si cette thématique de l’Egypte vaincue est assez bien établie et ne laisse aujourd’hui que peu de place au doute, certains éléments de la gravure restent pour le moins surprenants et sujets à diverses interprétations.

Certains observateurs ont vu, dans ce crocodile assez grotesque, la forme d’un navire de guerre animalisé. La gueule aux traits étranges s’apparenterait à la proue d’une embarcation, et la queue relevée prendrait ainsi l’allure de sa poupe. Si l’hypothèse peut sembler farfelue de prime abord, il faut avoir en tête que durant l’antiquité, des yeux étaient parfois peints sur l’avant des bateaux pour leur donner une allure bestiale. En les décorant ainsi, on donnait aux proues de ces navires un aspect zoomorphe.

Par ailleurs, d’étonnants serpents, discrets mais bien reconnaissables toutefois, peuvent parfois se voir sur certaines de ces pièces, en lieu et place des rubans de la couronne qui surplombe la palme. Ici encore, leur présence étonne. Ne faudrait-il pas y voir une représentation symbolique des aspics, serpents auxquels Cléopâtre a tendu son bras pour se donner la mort ?

On le voit en tout cas, le dupondius de Nîmes est chargé de symboles et de références dont le sens n’échappait probablement pas à ceux qui se servaient de cette monnaie pour leurs échanges quotidiens.

Les 4 types recensés pour le dupondius de Nîmes, et leurs caractéristiques

Les émissions du dupondius de Nîmes, très abondantes, se sont prolongées sur un pan important du règne d’Auguste. Cette monnaie a fait l’objet de plusieurs déclinaisons au fil du temps, si bien que l’on distingue 4 types principaux pour ce module, chacun avec des détails différenciants. Seul un œil initié et entraîné à reconnaître ces spécificités saura identifier et dissocier ces différents types.

Voici les caractéristiques des 4 types de dupondius de Nîmes.

Classe I (émission probable : 29 – 27 av. J.-C.)
  • Caractéristiques : Avers avec bustes d’Agrippa (barbu) et d’Octave (nu-tête).
  • Poids moyen : 16,85 g ; Module : 29 à 40 mm.
  • Style : Finition plus fine, meilleure qualité de métal.
  • Revers : Crocodile avec une gueule parfois surmontée d’une corne.

Classe II (émission probable : 27 – 9 av. J.-C.)
  • Caractéristiques : Buste d’Agrippa avec couronne navale, Octave toujours nu-tête.
  • Poids moyen : 12,50 g ; Module : 26 mm.
  • Style : Moins raffiné, parfois de style gaulois. Certains détails comme les lettres et les chaînes peuvent varier.
  • Variations notables : Dents disproportionnées du crocodile, couronne de palme souvent incomplète.

Classe III (émission probable : 8 – 3 av. J.-C.)
  • Caractéristiques : Octave couronné de la couronne civique (chêne), Agrippa avec la couronne navale.
  • Poids moyen : 13,27 g ; Module : 24 mm.
  • Style : Plus romain et régulier, qualité de gravure plus élevée.
  • Revers : Le crocodile reste attaché à la palme, mais avec une représentation plus soignée.

Classe IV (émission probable : 10 – 14 ap. J.-C.)
  • Caractéristiques : Octave couronné de lauriers, titre Pater Patriae ajouté (lettres PP).
  • Poids moyen : 12,85 g ; Module : 27 mm.
  • Style : Très fin et réaliste, rubans de la couronne remplacés par des serpents sur certaines variantes.
  • Variations spécifiques : Symboles solaires et autres détails plus romains.

La première émission, celle du type I, produit les exemplaires les plus lourds. Les modules des types suivants affichent un poids plus léger. Pour certains, les monnaies du premier type sont bien des dupondius, mais celles des suivantes sont des as.
Enfin, le type I est considéré comme le plus rare.

Nîmes, lieu choisi pour la production du dupondius au crocodile

"COL NEM" au revers fait référence à COLoni NEMausus, Nemausus correspondant à Nîmes dans l'antiquité. [© American Numismatic Society]

« COL NEM » au revers fait référence à COLoni NEMausus, Nemausus correspondant à Nîmes dans l’antiquité. [© American Numismatic Society]

A ce stade, nous avons regardé en détail cette monnaie, et suivi son évolution dans le temps. Mais nous n’avons pas encore fait la lumière sur une des questions qui revient le plus souvent au sujet du dupondius de Nîmes : pourquoi Nîmes, au juste ? On peut à priori se demander pourquoi avoir choisi Nimes comme point d’émission de cette monnaie commémorant la bataille d’Actium et la soumission de l’Egypte, relativement lointaine, distante géographiquement.

Pourtant, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce choix.
L’Egypte semble avoir exercé une certaine influence sur la ville de Nice au cours du Ier siècle avant Jésus Chrsit. Cette influence transparaissait à travers certains monuments et éléments architecturaux de la ville, et on sait qu’un important culte voué à Isis y était rendu.

La situation géographique de Nîmes était propice à faciliter la diffusion dans l’Empire. Il est toutefois vraisemblable que cette monnaie, dont les émissions, nombreuses, se sont prolongées sur de nombreuses années, ait été frappée également dans d’autres ateliers gaulois.

Le cas des dupondius coupés

Signification de ces gravures, lieu de production… Le dupondius de Nîmes soulève de nombreuses interrogations et l’une d’entre elles porte sur le nombre conséquent d’exemplaires coupés retrouvés. On a en effet retrouvé de très nombreuses moitiés de dupondius. Beaucoup de dupondii ont par conséquent été coupés en deux.

Différentes hypothèses ont été avancées, mais l’explication la plus vraisemblable veut que cette opération de découpe se soit justifiée par la nécessité de disposer de petite monnaie. En effet, certains des peuples parmi lesquels se diffusaient la monnaie, et notamment dans les contrées germaines, habitués à manipuler de plus petits modules dans leurs utilisation quotidienne, auraient préféré disposer ainsi de d’unités monétaires de plus faible valeur, plus commodes.

Les dupondii étaient coupés avec un certain soin, suivant un axe séparant le plus souvent avec précision les deux têtes. Un burin a servi dans la plupart des cas à marquer cet axe. Puis un marteau, ou des pinces, ont été utilisés pour séparer les deux moitiés. Éventuellement, la monnaie étaient chauffée préalablement pour faciliter l’opération.

On retrouve un très grand nombre de dupondii ou d'as de Nîmes coupés en deux, ce qui ne doit rien au hasard... [© American Numismatic Society]

On retrouve un très grand nombre de dupondii ou d’as de Nîmes coupés en deux, ce qui ne doit rien au hasard… [© American Numismatic Society]

Le dupondius de Nîmes, monnaie de collection

Monnaie chargée de symboles, emblématique elle-même d’une époque charnière – celle qui voit éclater la victoire d’Auguste et l’avènement de l’empire romain – le dupondius de Nîmes est une monnaie digne d’intérêt à plus d’un titre. C’est l’exemple même d’une monnaie qui se raconte, d’une pièce riche de détails qui se dévoilent par petites touches. Une vraie monnaie de collectionneur !


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